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Le dialogue entre les médecins des Hautes-Pyrénées et les grévistes de la Polyclinique de Tarbes : « un médecin heureux, une infirmière heureuse, un personnel heureux, font un patient bien soigné ! »

vendredi 16 décembre 2016 par Rédaction
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Une rencontre a eu lieu ce vendredi midi à la Mairie de Tarbes entre deux représentants de l’Ordre des Médecins des Hautes-Pyrénées, les salariées grévistes de la Polyclinique de l’Ormeau-Pyrénées et la CGT. Un échange sincère, constructif et parfois émouvant, que nous avons tenté de vous restituer dans ce reportage.

Christian Robert, président du Conseil de l’Ordre des Médecins des Hautes-Pyrénées : nous avons voulu alerter toutes les autorités, ce que nous faisons déjà depuis un moment. Notre préoccupation, c’est le patient, uniquement le patient. Vous avez un conflit social, vous avez des revendications, elles sont légitimes sûrement. Il n’est pas question pour nous de mettre le petit doigt dedans. Vous avez une situation de blocage entre votre employeur et vous-mêmes. C’est cette situation qui nous gêne, car il y’a des patients au milieu. Si, en ma qualité de représentant des médecins, je réagis, c’est que je surveille la qualité des soins, le fait que les patients bénéficient de soins corrects. Nous savons que des gens ont des diagnostics de cancer, et qu’ils doivent avoir une intervention chirurgicale. Ce serait un moindre mal si on pouvait y répondre dans un établissement voisin, mais cela n’est pas possible en ce moment. Certaines spécialités dans les Hautes-Pyrénées sont exclusivement présentes à la Polyclinique de l’Ormeau-Pyrénées : l’urologie, la chirurgie cardio-vasculaire, la cancérologie. Pendant mes 34 ans à l’hôpital de Tarbes, j’ai toujours travaillé en bonne entente avec mes collègues de la clinique. Toujours dans l’intérêt du patient, pas pour nos petits intérêts. Ce que l’on veut, c’est que le blocage s’arrête. C’est qu’il y’ait une médiation et que l’on puisse vite reprendre en charge les patients.

Laurence Charroy, déléguée de la CGT pour la Polyclinique : vous imaginez bien que les personnes qui travaillent dans cet établissement portent le même souci. C’est d’ailleurs l’un des principaux motifs de ce mouvement social : préserver des conditions de travail dignes pour bien prendre en charge les patients. Les salariés présents autour de cette table peuvent en témoigner au nom des autres : elles ont toutes vu leurs conditions de travail se dégrader.

Christian Robert : quand j’étais praticien hospitalier, je disais toujours à la direction de l’Hôpital de Tarbes : « un médecin heureux, une infirmière heureuse, un personnel heureux, font un patient bien soigné ! ».

Laurence Charroy : depuis le début, nous essayons d’alerter l’Agence Régionale de Santé, et ils sont aux abonnés absents. Alors qu’ils ont sûrement les clés pour peser sur notre employeur. La Préfecture, elle, a pris ses responsabilités et a joué son rôle depuis le début, sans aucun parti-pris. Tout ce qu’elle a pu faire, elle a tenté de le mettre en œuvre. Les élus, le Conseil départemental, le Conseil municipal de Tarbes, le Grand Tarbes, tous ont voté à la quasi-unanimité une motion de soutien au personnel en grève. Jeudi soir, nous avons discuté avec la direction jusqu’à 23 heures, et il n’y avait pas de volonté réelle de leur part d’avancer. Ils ont rompu les négociations et ils ont demandé la nomination d’un médiateur. En assemblée générale, les salariés ont accepté cette proposition de médiation. Toutes les réunions à la préfecture ont montré que, de notre côté, nous avions fait des pas. Avec les salariés, nous avons revu à la baisse nos demandes concernant les rémunérations. Médiation ne veut pas dire signature d’un accord. Sera-t-on obligés de recommencer ? Quels sont les moyens dont nous disposons ? Tous les pouvoirs publics, tous les élus, nous ont toujours dit que nous avions été dignes dans notre combat. Nous avons entendu employer par certaines personnes le terme de « pris en otage », ce qui me gêne, quand on voit aujourd’hui le bombardement d’Alep. Après 40 jours de conflit, à la veille de Noël, nous sommes restés dignes. Il existe des conflits où se passent des choses beaucoup plus violentes. Nous avons dit à la direction : « vous vous moquez de la situation sanitaire du département et des pouvoirs publics ». Et c’est très grave. Je reconnais que nous nous trouvons à la veille d’une situation sanitaire catastrophique pour notre département. Pour autant, nos revendications restent légitimes. Sachez que cette année, le nombre d’arrêts de travail a augmenté de 30% à la Polyclinique !

Christian Robert : c’est en effet un signe qui ne trompe pas. Je crois qu’une cible n’a été atteinte par personne, à savoir la directrice régionale de l’ARS. Il faut se déplacer à Montpellier. La directrice de l’ARS fait gérer la situation par son « fusible local », qui n’a pas suffisamment de poids.

José Navarro, membre du bureau de l’UD CGT et membre de la délégation lors des négociations : nous avons écrit cela à la Ministre de la Santé. Elle considère que ce conflit est seulement un conflit du travail. Nous ne sommes pas dans une usine. Or, la question sanitaire pour la population de ce département est de plus en plus délicate au fil des jours. Nous sommes dans une phase de plus en plus dangereuse, et nous en sommes conscients. Ces questions ont été abordées par les pouvoirs publics pendant la rencontre de négociation, par la voix du sous-préfet. Mais nous avons en face de nous des gens qui n’en ont rien à faire. Le groupe Médipôle Partenaires fait 800 millions d’euros de chiffre d’affaires. Il va être absorbé par le groupe Elsan, cela va faire 1,5 milliards de CA, aux mains de fonds de pension. Ce groupe bloque sur une enveloppe supplémentaire demandée de 470 000 euros. Ce que réclament les salariés, sur trois ans, c’est de l’ordre de 1,3 millions d’euros. Médipôle répond par la RAG à 8,33 soit 470 000 euros et une prime exceptionnelle de 500 euros bruts pour 2016. Dieu sait si nous avons parlé. Nous avons discuté, chiffres contre chiffres, et nous nous sommes trouvés face à un mur. La réponse de l’ARS, si elle était seulement dans les réquisitions, reviendrait à accepter de se laisser instrumentaliser pour casser un mouvement de grève. Ce qu’attend le groupe Médipôle, depuis le début, c’est d’humilier les gens. Les bulletins de salaires de novembre ont été envoyés très rapidement, avec moins 450 euros, moins 600 euros, cela fait mal. Ils pensaient que les salariés allaient reprendre le travail avec l’échine courbée. Cela n’a pas été le cas. Puis, il y’a eu l’assignation au tribunal pour l’occupation. Oui, ce n’est pas quelque chose de normal, ni d’anodin, des matelas par terre dans un hall de clinique. Cette occupation a pourtant été menée dans la dignité. 17 personnes ont été assignées. La réponse des salariés a été de dire : « nous ne sommes pas 17, mais 140 ». Plusieurs témoignages de non-grévistes ont rappelé qu’il n’y avait pas eu de problèmes lors de cette occupation. Qu’est-ce qu’il reste aux salariés pour dire au « monstre » que nous avons en face de nous d’accepter de négocier ? Comme vous l’avez très bien souligné, ce sont des soignants heureux d’être au travail, dans de bonnes conditions, qui vont réaliser de bons actes de soin pour les patients. Si ce conflit a tellement pris racine, s’il a pris une telle force, depuis novembre 2016, c’est qu’au-delà des questions salariales, il y’a les problèmes des conditions de travail et de la réorganisation des services. Des gens, directeurs, cadres, décident, derrière leur feuille de papier, de cela, sans se soucier des conséquences sur les salariés. Concernant une réorganisation qui faisait l’unanimité contre elle, nous avons eu un monsieur en face de nous, le DRH, qui a osé nous dire : « cela fait une économie de un à deux équivalents temps plein ». Il a osé dire aussi qu’il assumerait les responsabilités d’un accident. Concernant l’ARS, il a fallu les occuper une journée pour qu’ils daignent nous répondre. Le Ministère de la santé pourrait intervenir. Dans le groupe Médipôle, la Banque Publique d’Investissement, donc l’Etat, est le deuxième actionnaire. La Caisse des dépôts et consignations, via une filiale, l’ICAD, intervient sur toutes les opérations immobilières des cliniques. Il n’existe pas d’histoire écrite dans ce domaine, mais il y’a des politiques de santé. Il faudrait dans le département un partage sain des responsabilités sanitaires. Ce que nous demandons aujourd’hui, c’est un effort sur le point d’indice, et une prime pérenne. Elle était à 1600, on est descendus à 900, puis sur trois ans. Monsieur Legendre, le DRH, a dit hier : « ce n’est pas une question de moyens ». Ces gens-là veulent apporter la preuve qu’un mouvement social ne peut pas sortir par le haut. Notre échange avec vous, les médecins, est important et positif, car il permet d’aller au-delà de la « guerre des communiqués ». Nous avons déjà discuté avec d’autres médecins. Ne nous trompons pas de cible. Ce groupe Médipôle use de toutes les manœuvres pour discréditer les uns et les autres. Nous ne voulons pas qu’ils viennent autour de la table pour produire une mascarade. C’est pourquoi, nous avons indiqué hier soir à la Préfète que nous étions d’accord avec la nomination d’un médiateur.

Fatima, infirmière gréviste, membre de la délégation lors des négociations : ce que j’ai entendu dans votre discours, docteur, c’est que nous menons le même combat pour la santé de nos patients. Ce que je ne comprends pas, c’est que l’on essaie depuis un mois de monter les médecins contre les salariés, alors que nous travaillons toute l’année ensemble. Les médecins nous ont manqué à ce niveau-là. Nous devrions être unis pour lutter contre ce mastodonte financier. J’ai discuté avec un chirurgien de mon service qui était persuadé que nous avions obtenu un treizième mois par la direction, alors que la proposition était à ce moment-là de 250 euros, sans négociation pendant trois ans. Qu’est-ce qui nous a poussées à déclencher une grève et à être dans la rue ? Nous sommes à 80% des femmes seules, avec des petits salaires. Beaucoup d’entre nous sont divorcées, à cause de nos horaires de travail du week-end ou de la nuit. Le point central de notre colère, ce sont les conditions de travail. Quand on a trois patients qui passent dans le même lit, la même journée, avec des débordements à tous niveaux, nous n’en pouvons plus. Ce n’est pas la question salariale qui nous a incitées à nous engager dans ce conflit social. C’est ce problème des conditions de travail. Elles sont liées directement à la qualité de prise en charge de nos patients. Je suis infirmière, je ne veux pas m’occuper d’un patient en cinq minutes, ce n’est pas possible. Pour cela, on est dans le même combat. J’aimerais que vous soyez à nos côtés. Ce que le groupe veut faire de nous à présent, c’est un exemple. Ils ont peur de la contamination aux autres cliniques. Et nous sommes confrontés à cette alliance avec le groupe Elsan.

Christian Robert : je suis conscient de tout cela, et je l’ai bien entendu. Nous savons très bien que vous n’êtes pas en nombre suffisant.

Nadège, secrétaire gréviste, et membre de la délégation lors des négociations : ils veulent encore réduire le nombre de postes, avec les restructurations alors que nous ne sommes déjà pas suffisamment nombreuses !

Patrick Guenebaud, porte-parole de la Coordination des médecins libéraux des Hautes-Pyrénées et membre du Conseil de l’ordre : en France, j’ai l’impression que c’est devenu un sport national de tout vouloir réduire, autant dans le secteur public que dans le secteur privé. Il est bien évident que nous entendons ce que vous venez de dire. Nous sommes le Conseil de l’ordre, c’est-à-dire que nous représentons tous les médecins des Hautes-Pyrénées, hospitaliers salariés ou libéraux. C’est le soin qui nous importe. Je suis médecin généraliste. Nous sommes proches des patients. J’ai entendu des choses. Les problèmes générés par l’arrivée d’un groupe financier se dessinent depuis longtemps. Nous assistons à une faillite de la prise en charge des soins par l’Etat. Madame Touraine, qui fait ses belles lois et qui passe son temps à persécuter le personnel de santé, n’a pas d’alternative à proposer pour résoudre ces problèmes. On peut comprendre votre mouvement. Mais l’on voit une inflation dans l’action. Nous avons des patients qui ne sont plus pris en charge. Nous avons affaire à des drames humains qui se trament, comme pour les diagnostics de cancer. Et je pense que vous n’en êtes pas heureuses non plus. Nous sommes là pour avancer. Si l’on peut être une aide, une interface, avec la médiation, on le fera. Personnellement, les intérêts financiers de Médipôle, cela ne m’intéresse pas. Ce qui compte pour moi, ce sont uniquement les soins. Si le blocage devient permanent, qu’est-ce qui va se passer ? Les salariées non-grévistes vont se retrouver au chômage technique. Pourquoi ? Parce que la moitié des médecins sur le plateau technique veulent démissionner.

José Navarro : celui qui a les clés de tout cela, c’est le groupe Médipôle Partenaires. Nous n’avons même pas pu aborder hier la question des conditions de travail !

Patrick Guenebaud : la démographie médicale risque de partir, la jeunesse médicale ne viendra pas. Faute de plateau technique à proximité, les jeunes médecins risquent de ne pas vouloir venir s’installer ici. Si l’on peut témoigner de cela à la médiation, on n’hésitera pas à le faire.

José Navarro : pourquoi ne saisissez-vous pas en tant qu’Ordre des médecins le groupe Médipôle ou la Fédération de l’Hospitalisation Privée ?

François Dousseau, secrétaire de l’UD CGT : on a senti des blocages au niveau de cette FHP. Ils ont peur que si la négociation aboutit, cela mette le feu aux autres cliniques, voire dans d’autres groupes.

José Navarro : il n’est pas acceptable que la Ministre de la santé considère que ce conflit est un simple conflit du travail. Je ne conçois pas qu’elle ne soit pas capable de pousser à la négociation. C’est quand même eux qui délivrent les autorisations d’exercer !

Patrick Guenebaud : il y’a un risque sanitaire, avec une direction complètement autiste. Si l’ARS est incapable de comprendre cela, c’est gênant.

Fatima : dans la rue, il n’y a pas que les infirmières. Tous les corps de métier sont présents au sein de ce mouvement. Quand cela déborde, quand il y’a une hyper rentabilité, c’est partout que cela pose problème. L’hôtesse d’accueil se fait agresser, la secrétaire se fait agresser, les infirmières se font agresser par les usagers, et par les médecins, si le patient n’est pas encore arrivé au bloc opératoire ou que la chambre n’a pas été refaite.

Christian Robert : il me semble en effet que la question des conditions de travail est prioritaire pour vous.

Laurence Charroy : certaines de nos collègues sont restées pendant 20 ans au SMIC !

Nadège : un des responsables a osé nous répondre, quand nous avons évoqué cette question des bas salaires : « vous avez de la chance, au moins en France, le SMIC existe. Si vous étiez au Brésil, vous n’auriez pas de SMIC ! ».

José Navarro : ils reconnaissent qu’ils ont acheté cette clinique parce qu’elle est rentable. Sur une année, 600 000 euros remontent de la Polyclinique vers le groupe. Et ils refusent de lâcher 470 000 euros. Quand on leur parle des créances qu’ils remontent au groupe, 8,8 millions d’euros, ils ne nous disent pas à quoi cet argent sera destiné. Quand on leur demande si la clinique est endettée, ils nous disent que non.

Patrick Guenebaud : pour amorcer la « Paix des braves », quel type d’action pouvez-vous mettre en œuvre qui ne soit pas choquante pour l’Ordre des médecins ? Dans la médiation, nous pouvons nous engager pour que les choses avancent. Vous nous dites que la clinique a été débloquée, est-ce de façon pérenne ?

José Navarro : c’est provisoire, suivant l’évolution des négociations. Mais le problème de santé publique se poserait de toute manière, même sans blocage.

Félix Ayllon, membre du bureau de l’UD CGT : le blocage a toujours été partiel, il y’avait une régulation. On a bien compris que c’était important de permettre aux patients d’accéder à la clinique.

Isabelle Gérard, aide-soignante et membre de la délégation lors des négociations : sachez que ce blocage, nous ne l’avons pas mis en place de gaieté de cœur. Cela nous tordait les tripes. Nous sommes avant tout des soignantes, ne l’oubliez-pas !

Fatima : ce blocage avait été annoncé. Nous pensions que la direction allait faire passer l’information. Et bien, non. Il a été dit aux non-grévistes ou aux médecins qu’on les laisserait entrer, mais pas ressortir. Du coup, nous avons été devant la clinique, pour informer le plus possible les patients et les familles, et bien entendu, les rassurer. Hier soir, lors de notre assemblée générale à la Bourse du Travail, la décision d’accepter le recours à la médiation a été prise à la quasi-unanimité. Nous avons une réelle volonté de sortir de la grève et de trouver un terrain d’entente avec la direction. Nous souhaitons une issue favorable pour nous et pour tous les habitants des Hautes-Pyrénées. Cela vient après un long cheminement. Nous prenons nos responsabilités.

Christian Robert : de notre côté, nous allons saisir l’Ordre national des médecins, et demander qu’il intervienne auprès du Ministère de la santé, concernant la situation sanitaire dans les Hautes-Pyrénées. Merci à vous pour cet échange !

Propos recueillis par Jean-François Courtille