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Culture - « Une nuit de Grenade » où le dialogue impossible entre l’art et la dictature

mardi 13 décembre 2016 par Rédaction

La pièce de François-Henri Soulié, « Une nuit de Grenade », a captivé le public des Hautes-Pyrénées pendant cette première quinzaine de décembre 2016 au Pari de Tarbes. Mis en scène par Jean-Claude Falet et interprété par la Compagnie « Label Etoile », ce spectacle plein de justesse et de sobriété pose avec acuité la question des rapports entre l’art et le pouvoir en temps de guerre ou de dictature. Tout en rendant un bel hommage à deux des plus grands artistes espagnols contemporains, Federico Garcia Lorca et Manuel de Falla.

« J’ai rencontré l’homme qui dompte les monstres et apprivoise la mort avec son sourire d’ange ». Une description émouvante de Garcia Lorca par le jeune secrétaire phalangiste Calderon, qui encourage le musicien Manuel de Falla a tout tenter pour sauver son ami poète, arrêté par les franquistes et menacé de mort. Cette terrible nuit du 16 août 1936, sous une tente de campagne faiblement éclairée par des lampes de chevet, deux hommes tentent, chacun à leur manière, d’arracher le salut de Lorca au gouverneur franquiste de Grenade, le commandant Valdes. La sobriété de la mise en scène proposée par Jean-Claude Falet, directeur de la compagnie « Label Etoile », sert idéalement le texte magnifique écrit en 2006 par François-Henri Soulié. L’interprétation toute en finesse des trois comédiens, François Clavier, Mathias Maréchal et Mathieu Boulet, apporte une grande densité émotionnelle à la pièce. « Une nuit de Grenade », dont la dernière représentation bigourdane a eu lieu ce dimanche 11 décembre 2016 sur la scène du Pari de Tarbes, habitera sans doute longtemps la mémoire des spectateurs. Etonnante confrontation que ce dialogue imaginaire entre un musicien de grande renommée, mystique et conservateur, et un militaire franquiste revenu de tout, seulement obsédé par la quête de la vérité. « Un poète n’est ni rouge, ni blanc, mais il recherche l’arc-en-ciel tout entier », affirme Manuel de Falla. « La pensée est la pourriture de l’âme », lui rétorque Valdès. « Vous pourrez fusiller toute l’Espagne, vous ne pourrez pas fusiller la musique », lance le compositeur.

La subtilité de la pièce réside dans la peinture nuancée de chaque personnage. Manuel de Falla accomplit une démarche pleine de générosité, mais cache un secret inavouable, cruellement mis en lumière par le commandant Valdès, lors d’un échange qui confine à l’interrogatoire de police. Le jeune secrétaire phalangiste, nommé Calderon, en clin d’œil à un autre grand auteur espagnol, dissimule une histoire d’amour impossible qui le conduit à prendre le risque d’affronter son supérieur hiérarchique. Et Valdès lui-même révèle une fêlure intérieure qui explique en partie son engagement au service d’une cause indéfendable. L’auteur de la pièce a des formules saisissantes pour décrire la perte complète de valeurs qui frappe une société en temps de guerre ou sous une dictature. « Je vais finir par croire que Grenade ne comptait que des nationalistes avant notre arrivée », lance le commandant avec ironie. « Aujourd’hui, tout le monde écrit contre tout le monde. A Grenade, il n’y a que les chiens qui ne dénoncent personne », souligne Calderon avec amertume. La pièce s’achève sur une nouvelle redoutée par le musicien et par le secrétaire. Cruelle ironie du destin : Valdes envoie Calderon « prendre l’air en rejoignant un peloton d’exécution ». Mais l’espoir affleure malgré tout, dans les mots du jeune phalangiste, quand il raconte son choc esthétique en découvrant une œuvre théâtrale de Federico Garcia Lorca.

Lors de l’échange du « bord de scène » avec le public, Jean-Claude Falet évoque aussi la dignité affichée par Manuel de Falla. « Après avoir appris la mort de son ami Lorca, il s’est exilé définitivement en Argentine. Il a toujours refusé de revenir en Espagne, et de percevoir les droits d’auteur provenant de son pays. Les cendres de Falla n’ont été ramenées dans sa terre natale, à Cadix, qu’après la mort de Franco ». Le souvenir de cette amitié entre un musicien chrétien mystique et un poète communiste homosexuel évoque ces vers tirés de « La Rose et le Réséda » : « celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas, tous deux adoraient la belle, prisonnière des soldats ».

Jean-François Courtille