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Le Cour des comptes épingle l'inflation des départs anticipés à la retraite

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Le dispositif des carrières longues, réformé en 2012, a accéléré le nombre des départs anticipés, soit 400.000 en 2017, soit près d'un départ à la retraite sur deux. En 2016, tous ces départs anticipés ont induit 14 milliards d'euros de dépenses en plus, selon la Cour des comptes.

"Chaque réforme depuis 2003 visant à augmenter l'âge effectif de départ à la retraite s'est accompagnée de la création ou de l'extension de dispositifs de départ anticipé" résume la Cour des comptes dans son rapport 2019 sur la Sécurité sociale. Parmi ces derniers, les assouplissements apportés au dispositif des carrières longues par le décret du 2 juillet 2012 pris sous François Hollande (notamment la réduction de deux années de la durée d’assurance) ont accéléré le nombre des départs anticipés à la retraite (cf infographie ci-dessous). Résultat: une multiplication par six de ces départs anticipés entre 2009 et 2017, passés au régime général de moins de 30.000 en 2009 à près de 180.000 en 2017.

Outre les carrières longues, l’inaptitude substituée ou non à une pension d’invalidité, les "catégories actives" de la fonction publique (police, gardien de prison,...), l’incapacité permanente, la retraite anticipée pour les travailleurs handicapés, le compte professionnel de prévention (pénibilité) et la retraite progressive, alimentent "les départs à la retraite dans des conditions dérogatoires d’âge ou de durée d’assurance".

Un pic à 400.000 départs anticipés en 2017

En 2017, ces sept dispositifs ont été à l’origine de près de 400.000 départs à la retraite. Résultat: les départs à la retraite à taux plein avant l’âge légal d’ouverture des droits ou sans que la condition de durée d’assurance soit remplie ont représenté près d’un départ à la retraite sur deux en 2017. L'autre conséquence de ces dispositifs est d'avoir fortement minoré les effets de l’augmentation de l’âge légal de départ à la retraite décidée dans le cadre de la réforme de 2010 (sous Sarkozy).

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"Fin 2010, une personne sur cinq était retraitée un an avant l’âge d’ouverture des droits alors fixé à 60 ans. Fin 2017, sous le double effet de l’augmentation de l’âge d’ouverture des droits et de l’extension des carrières longues, c’est une personne sur trois qui était retraitée un an avant ce même âge, porté à 62 ans" constate la Cour des comptes.

À elles seules, les carrières longues ont représenté 16,9 % de l’augmentation des dépenses de prestations de droit propre du régime général intervenue entre 2012 et 2017 (soit 2,2 milliards sur 12,8 milliards d'euros).

Des bénéficiaires et des coûts "insuffisamment suivis"

En creux, les magistrats égratignent des dispositifs de départs anticipés généreux mais qui, sauf exception, ont "un financement qui n’est pas identifié" avec des bénéficiaires et des coûts "insuffisamment suivis."

De par leur dynamique, l'ensemble des départs anticipés à la retraite ont logiquement induit un important montant de dépenses supplémentaires, près de 14 milliards d'euros en 2016, "pesant sur la soutenabilité du système de retraite." Ce montant s'élève à 5,2 % du total des dépenses de prestations de droit propre dans les régimes de base et complémentaires de retraite, contre 3 % environ en 2012. La Cour des comptes note toutefois "qu'en 2018, le flux des départs pour carrière longue s’est inversé au régime général, sous l’effet de l’augmentation progressive de la durée d’assurance requise pour le taux plein en application de la réforme des retraites de 2014".

Le dispositif de la retraite progressive reste méconnu

"Cette hausse de la part des départs à la retraite à taux plein dans des conditions dérogatoires d’âge ou de durée d’assurance contribue à la faiblesse en France du taux d’activité des 55-64 ans (55 % en 2017 contre 61 % en moyenne dans l’Union européenne)" déplore le rapport.

Pour infléchir cette tendance, dans le cadre de la future évolution du système français de retraites vers un système universel à points, le rapport suggère "des modalités de transition progressive vers la retraite qui devraient être privilégiées par rapport à l’interruption complète de l’activité professionnelle."

Avec moins de 10.000 départs à la retraite en 2017, le dispositif de la retraite progressive demeure modeste. "Il est probablement encore peu connu des salariés et des employeurs même si le dispositif français de retraite progressive est le seul à imposer une durée de travail maximale" conclut la Cour des comptes.

les départs anticipés des "catégories actives" de fonctionnaires en question

L'avantage des catégories actives (31.000 départs et 3,3 milliards d'euros de dépenses supplémentaires) permet à une partie des agents des trois fonctions publiques (État, hospitalière, territoriale) un départ anticipé de cinq, voire de dix ans (pour les catégories "super-actives"), au motif d’une dangerosité des fonctions exercées ou d’une sinistralité accrue de certains emplois.

"Depuis le début des années 2000, des modifications statutaires ont réduit le champ des catégories actives de la fonction publique. Les plus significatives ont concerné les instituteurs, les infirmiers et diverses professions paramédicales ainsi que les agents de La Poste. Néanmoins, le nombre de fonctionnaires classés en catégorie active diminue lentement" constate la Cour des comptes. C’est seulement à partir de 2030 qu’ils connaîtraient une baisse sensible.

Le rapport relève qu'il existe aussi une incertitude quant au nombre de fonctionnaires relevant d’une catégorie active (estimé à 700.000 environ) et des facteurs d’inéquité entre des fonctionnaires et des salariés exerçant des fonctions identiques dans le privé. Les aides-soignantes des établissements de santé privés ne bénéficient pas de possibilités de départ anticipé au titre d’une "catégorie active".

Dans ces conditions, "il conviendrait de poursuivre le réexamen du périmètre des métiers relevant des catégories actives et, au sein de ces métiers, des fonctions exercées justifiant le bénéfice de ces avantages."

Frédéric Bergé