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Quand la magie de l’art sacré soufi croise l’inspiration profane du « street art »

dimanche 25 décembre 2016 par Rédaction

Le spectacle « White spirit », proposé en ce mois de décembre 2016 par la scène nationale du Parvis, dans les Hautes-Pyrénées, a offert au public un fascinant chassé-croisé entre la magie de l’art sacré des chanteurs soufis d’Al Nabolsy et des derviches tourneurs de Damas, et l’inspiration profane de l’art graphique mural proposé par le plasticien tunisien Shoof. En marge du spectacle, les artistes ont confié leur vision universelle et tolérante de la création artistique.

Les sept chanteurs et musiciens soufis de l’ensemble Al Nabolsy prennent place sur la scène du Parvis, entourés de chaque côté par un derviche en robe blanche et feutre marron. Ils entonnent un chant de la tradition soufi, rythmé par la mélodie de l’oud et par le son des cymbales et des tambours. Les deux derviches se lèvent avec lenteur et commencent leur rotation, sur un tempo de plus en plus rapide. La beauté des arabesques dessinées dans l’espace et le tourbillon immaculé de leurs robes évoquent le souvenir de la grande chorégraphe Loie Fuller, immortalisée aux premiers temps du cinéma. Les yeux tournés vers le plafond de la salle, chacun des derviches tourneurs recherche un état proche de la transe mystique. Puis, la lumière s’atténue, et les deux danseurs s’éclipsent, accompagnés par la musique du joueur d’oud. Un chanteur soufi entame son solo a capella. Sa mélopée s’envole en arabesques vocales, appelant à leur tour les trois derviches tourneurs de Damas, qui lèvent leurs bras vers le ciel. Les sept chanteurs soufis enchaînent à l’unisson, et la transe envahit partiellement le public fasciné.

Puis, les derviches quittent à nouveau la scène, et un chant méditatif s’élève. Sur le balcon au-dessus du vide, l’artiste plasticien tunisien Shoof apparaît. Il s’empare du mur noir pour y tracer des calligraphies en langue arabe, esquissant un mouvement de danse qui fait écho aux voix des chanteurs et musiciens soufis. Au fur et à mesure que son trait se renforce, le chant des artistes gagne en puissance. L’espace du Parvis se remplit de leurs voix, comme le mur noir du balcon se pare des calligraphies de Shoof. Un derviche tourneur réapparaît, vêtu cette fois d’une robe sombre. Par un jeu de lumières, le sol se recouvre désormais de calligraphies. Les deux autres derviches le rejoignent, et le spectacle entre alors dans une dimension plastique proche de la féérie. Le chant, la musique, la danse et la calligraphie composent un étourdissant tourbillon sensoriel, sous les yeux d’un public définitivement conquis. Le spectacle s’achève avec un émouvant salut des artistes. Ils s’approchent de la scène, et entament un dernier chant, face aux spectateurs qui tapent dans leurs mains en rythme. « White spirit », ce dimanche de décembre 2016 sur la scène du Parvis, dans les Hautes-Pyrénées, a réussi un merveilleux cocktail d’art sacré et d’art profane. Mais l’émotion esthétique rappelle aussi aux spectateurs que la plupart de ces hommes vont regagner bientôt la Syrie, où s’achèvent, au même instant, les martyres des villes d’Alep et de Palmyre …

Avant le spectacle, Noureddine Khourchid, le maître des chanteurs soufis, et Hatem Aljamal, le maître des derviches tourneurs, ont accepté de répondre à une interview.

Comment est née l’idée de ce spectacle en trois dimensions artistiques, mêlant l’art sacré et l’art profane ?

A l’origine, le spectacle était composé du chant soufi et de la danse des derviches tourneurs. L’idée d’y associer un artiste plasticien venu du « street art », Shoof, est venue de la production du spectacle. Jean-Hervé Vidal, responsable de Zaman Production, et Mehdi Ben Cheikh, directeur d’une galerie d’art à Paris, ont imaginé une représentation pluridisciplinaire. Ce qui nous réunit avec Shoof, artiste profane, est la recherche de la transe et le dépassement de soi dans l’expression artistique. Nous nous sommes adaptés facilement à ce projet, qui apporte un regard neuf sur notre art.

Quelle est l’origine des textes que vous chantez sur scène ?

Il s’agit de poésies et de chants de louanges très anciens, qui appartiennent à la tradition de l’Islam soufi, et sont connus dans tout le Moyen-Orient. Ces chants et ces poèmes évoquent la mémoire de saints hommes de notre religion. Ils s’adressent au Prophète ou à Dieu. Les messages que véhiculent ces textes font référence aux valeurs du soufisme : la renonciation, la modestie, l’amour de Dieu, l’amour des autres êtres humains, le respect de toute créature.

Quel regard portez-vous sur la situation actuelle dans votre pays, la Syrie, déchiré par une guerre interminable ?

Les soufis, d’une manière générale, ne s’impliquent pas dans le champ politique. Mais il est évident que la situation actuelle est douloureuse et navrante pour nous. Ce qui se passe aujourd’hui dans notre région est lié à l’extrémisme de certains mouvements, qui croient pratiquer l’Islam. C’est une pensée très radicale, qui trouve ses racines en Arabie Saoudite. Pour nous, cela constitue un véritable recul de la civilisation. Les soufis sont capables de vivre avec leur époque, tout en respectant les piliers de l’Islam. Il est illusoire de penser que l’on puisse vivre aujourd’hui comme il y’a 1500 ans. Les musulmans soufis ont le désir de vivre en paix avec les autres êtres humains. Nous nous considérons comme les frères de tous les hommes, et nous ne souhaitons du mal à personne. Chacun peut garder sa liberté de pensée, cela ne nous pose aucun problème. Nous ne cherchons pas imposer notre foi aux autres êtres humains. C’est pour cela que nous continuons à espérer voir s’améliorer la situation dans notre pays.

Après le spectacle, l’artiste plasticien tunisien Hosni Hertelli, alias « Shoof », a aussi accepté de répondre à nos questions.

Comment avez-vous construit votre œuvre calligraphique pour ce spectacle ?

Tout d’abord, dans la composition graphique de la scène, qui apparaît grâce à un jeu de lumières au deuxième tiers du spectacle, je suis parti de l’idée d’une goutte d’eau qui s’élargit progressivement en plan d’eau, avec la propagation des ondes. La calligraphie arabe me semblait un bon support pour développer ma peinture. Il ne s’agit nullement de textes compréhensibles. J’utilise ces caractères de la langue arabe pour composer un dessin éphémère, et j’entremêle chaque lettre jusqu’à les fondre dans un ensemble indistinct. Ce n’est pas un « codex » ou du langage, mais bien de l’art plastique. Pendant quatre jours, j’ai investi l’espace que le Parvis mettait à ma disposition. Cette performance était à la fois physique et artistique. Pendant les deux représentations du spectacle au Parvis, quand je suis monté sur le balcon pour dessiner mes calligraphies, j’étais moi aussi dans un rythme chorégraphique. Le chant soufi m’offrait le tempo adéquat pour improviser, et en ce sens, j’étais dans une démarche proche de celle des derviches tourneurs, tout en restant dans un cadre profane.

Comment êtes-vous venu au « street art » ?

Je ne me considère pas à proprement parler comme un graphiste de « street art ». Mes œuvres sont souvent réalisées dans des lieux invisibles au grand public, comme les friches industrielles. Ou alors, ce sont des œuvres éphémères sur des scènes de théâtre, par exemple. Ce qui m’intéresse, c’est de m’approprier toutes sortes d’espaces, pour y exprimer mon art. Je suis attiré esthétiquement par un support, un mur la plupart du temps, et je pratique un art contextuel.

Avez-vous envie de poursuivre ce projet avec les artistes syriens ?

Je l’espère en effet. C’est un projet artistique plein de sens, dans lequel je prends vraiment du plaisir. Il constitue une sorte de conversation avec des personnes de tous horizons. L’une des forces de l’art est de rapprocher ainsi les êtres humains.

Jean-François Courtille

Diaporama - Photos JF Courtille