La métamorphose contemporaine des Macbeth

Présentée samedi soir au public du Théâtre des Nouveautés de Tarbes, « Une saison avant la tragédie de Macbeth », de Gloria Carreno, donne un coup de fraîcheur à l’histoire du couple royal écossais, saisie dans les prémices du chef d’œuvre de Shakespeare. La mise en scène audacieuse et imaginative d’Eric Durand, subtilement accompagnée par la musique de Vianney Oudart, et portée avec brio par les comédiens, compose une œuvre théâtrale puissante et originale. Le public a aussi pu apprécier la qualité de l’écriture proposée par Gloria Carreno, qui a su mêler le souffle de la tragédie et les accents burlesques, au service d’une histoire authentique aux résonances universelles.

Une musique techno-rock envahit la scène du Théâtre des Nouveautés, jouée par le compositeur Vianney Oudart, dissimulé derrière un pupitre. Deux comédiens surgissent sur le plateau. L’un d’entre eux est habillé dans une tenue au style gothique, l’autre a revêtu le kilt traditionnel des Ecossais. Un bref combat s’ensuit, à l’issue duquel le guerrier gothique, Lord Macbeth (Guillaume Groulard), capitaine du roi Malcolm, tue son adversaire. La scène suivante met aux prises deux personnages féminins. La jeune Lady Gruoch (Elsa Beigbeider), vêtue d’une jupe écossaise et chaussée de Doc Martens, écoute avec distraction les propos excentriques de sa mère Lady Bodhe (Dominique Prunier), qui arbore une tenue et une coiffure dans un style « punk » désopilant. Puis, Lord Macbeth retrouve son serviteur (Bernard Monforte), qui évoque la bataille disputée la veille, en roulant des yeux ronds épouvantés. Le ton de la pièce « Une saison avant la tragédie de Macbeth », écrite par Gloria Carreno et mise en scène par Eric Durand, va alterner ainsi la tragédie et le burlesque. Le récit puise sa source dans l’histoire authentique de l’Ecosse, au moment de la prise de pouvoir du roi Duncan, et avant son assassinat par Lord Macbeth, sujet du chef d’oeuvre de William Shakespeare.

Le véritable personnage central de la pièce de Gloria Carreno est la jeune Lady Gruoch, qui se mue au fil des événements en Lady Macbeth, future reine d’Ecosse. Après l’assassinat d’un mari détesté, sur ordre du roi Malcolm et avec la participation de Macbeth, Lady Gruoch s’emploie à séduire le capitaine valeureux. Les dialogues entre les deux personnages dévoilent le sens politique aiguisé de la jeune femme. Ils abordent des problèmes très contemporains sur le lien entre l’autorité, la légitimité et la légalité du pouvoir. « Qui d’autre que Macbeth, valeureux entre tous, pour mener le Royaume ? ». Ou encore : « quelle guerre faut-il mener pour mettre fin aux guerres ? ». La place des femmes dans l’histoire est aussi évoquée en filigrane, notamment dans les échanges entre la mère et la fille. « L’histoire s’écrit au nom des hommes depuis trop longtemps », déplore Lady Bodhe. Et le serviteur de Lord Macbeth renchérit : « les hommes chancellent sur les vagues de leur propres ambitions ».

La dimension tragique de la pièce est atténuée par le jeu burlesque du serviteur et de Lady Bodhe. Lord Macbeth lui-même glisse par instants dans la fantaisie, quand il évoque les folies de son frère, seigneur des Orcades, sous l’œil narquois de la femme qu’il convoite. Le jeu de Lady Macbeth s’intensifie au fil des scènes, jusqu’au moment où elle entre littéralement dans la peau d’une future reine, prononçant les mots qui annoncent Shakespeare : « la tragédie de Duncan ne fait que commencer ». La prose élégante de Gloria Carreno est valorisée par la mise en scène audacieuse d’Eric Durand. L’artiste a composé pour ce spectacle un univers plastique proche de « l’héroïc fantasy », basé sur l’accompagnement musical techno-rock de Vianney Oudart, les costumes gothiques décalés d’Annick Sinéus, et un plan de feux de Philippe Jost où alternent la pénombre et la clarté. Les comédiens portent le texte avec un mélange de gravité et d’ironie, assorti d’une touche de chorégraphie dans leur manière d’occuper l’espace. « Une saison avant la tragédie de Macbeth » est une vraie réussite, appréciée à sa juste valeur par le public du Théâtre des Nouveautés, au sein duquel figuraient plusieurs élèves du lycée Marie Curie de Tarbes. Le public lourdais aura l’occasion de découvrir à son tour ce spectacle des compagnies « Equipe de réalisation » et « Mosaïque » le 27 janvier 2016, sur la scène de l’Espace Robert Hossein à Lourdes.

Jean-François Courtille